Et si la taxation devenait un levier d’intelligence collective ?
Taxer ceux qui nuisent pour soutenir ceux qui améliorent la société : et si la fiscalité devenait un outil de transformation managériale et d’intelligence collective ?
Et si l’impôt n’était pas qu’un outil budgétaire, mais un instrument stratégique de transformation ? Derrière chaque taxe bien pensée, il peut y avoir une intention vertueuse : corriger un déséquilibre, encourager des comportements responsables, ou récompenser l’utilité sociale.
Dans le monde de l’entreprise, comme dans l’économie en général, la question n’est plus seulement « combien prélever », mais « pourquoi », « à qui » et surtout… « dans quel but ? ».
Et si l’État ne devait pas tout faire… mais devait mieux faire ?
Depuis les origines du libéralisme, une grande question traverse l’histoire de la pensée politique et économique : l’État doit-il intervenir dans l’économie, et si oui, jusqu’où ?
Certains philosophes comme John Locke ou Adam Smith plaidaient pour un État minimal, garant des droits, de la justice et de la sécurité, laissant au marché la responsabilité d’assurer l’équilibre. D’autres, plus interventionnistes, ont vu dans l’action publique un levier de justice sociale, de stabilité, ou d’efficacité collective.
Entre ces deux visions, une ligne de crête s’est dessinée : celle d’un État stratège. Un État qui ne contrôle pas tout, mais qui règle le jeu. Qui ne remplace pas les acteurs, mais oriente les comportements par des incitations, des régulations, et des signaux économiques. Un État qui ne punit pas arbitrairement, mais corrige les déséquilibres structurels au nom de l’intérêt général.
C’est toute la philosophie des taxes incitatives, ou “taxes pigouviennes”, pensées non pour remplir les caisses, mais pour faire évoluer les pratiques.
Taxer ceux qui nuisent, soutenir ceux qui transforment
Dans cette logique, taxer les comportements ou les structures qui génèrent un coût pour la société (pollution, absentéisme élevé, spéculation risquée…) n’est plus vu comme une sanction punitive, mais comme un mécanisme de responsabilité. Et redistribuer ces montants vers les entreprises ou les individus qui, au contraire, améliorent le bien commun, devient un acte d’équité économique et sociale.
Les économistes de l'école keynésienne défendent cette vision d’un État régulateur qui agit en cas de déséquilibres persistants. À l’opposé, les auteurs libéraux comme Friedrich Hayek s’inquiétaient d’une dérive autoritaire, où l’intervention publique étoufferait les dynamiques naturelles du marché. Mais même chez eux, la nécessité d’un cadre stable et juste est reconnue.
Plus récemment, la théorie du Public Choice a rappelé que l’État n’est jamais neutre, que ses décisions peuvent être guidées par des intérêts propres. D’où l’importance de penser des dispositifs simples, transparents, évaluables et temporaires.
Un État qui corrige sans étouffer
Appliqué au monde du travail, ce débat prend une résonance très concrète. Une entreprise qui accumule un taux d’absentéisme élevé sur plusieurs années, sans facteur épidémique ou accidentel, est probablement confrontée à un problème managérial profond. Surcharge, manque de reconnaissance, conflits larvés : autant de signaux faibles que les indicateurs sociaux peuvent révéler.
Dès lors, faire contribuer davantage ces entreprises n’est pas un acte de punition, mais un acte de cohérence économique. C’est reconnaître que certaines structures coûtent plus à la société — en termes de dépenses de santé, de désengagement, de perte de performance — et qu’elles peuvent être incitées à changer.
L’enjeu n’est pas de taxer pour taxer. L’enjeu est de taxer pour transformer.
Faire payer les mauvais comportements pour récompenser les bons
Dans certains domaines, c’est déjà une réalité :
- On taxe les pollueurs pour financer la transition écologique (taxes pigouviennes),
- On taxe les banques à risque pour alimenter des fonds de stabilité financière,
- On taxe les grandes plateformes pour compenser leur faible contribution sociale.
Ce principe s’appuie sur une logique de régulation par incitation : plus vous générez de coûts pour la société, plus vous contribuez à les compenser — à l’inverse, si vous améliorez l’équilibre collectif, vous pouvez bénéficier d’une forme de redistribution ou d’allègement.
Appliqué au monde du travail et du management, ce modèle prend tout son sens.
Ce que dit la recherche économique
Les économistes parlent ici de taxes pigouviennes : des prélèvements ciblés sur les comportements qui génèrent des externalités négatives (comme la pollution ou les risques financiers). L’idée est simple :
- Taxer les “mauvais” comportements pour en réduire l’occurrence,
- Redistribuer ces recettes pour encourager les “bons” comportements.
➡️ Dans un article publié par Thurner & Poledna (2014), on montre que la taxation des comportements à risque dans le secteur bancaire réduit le risque systémique sans freiner l’innovation.
➡️ En parallèle, les travaux de Saez, Piketty ou Stiglitz démontrent que la redistribution ciblée peut favoriser la stabilité sociale et la croissance économique, à condition que les incitations soient préservées.
➡️ En management, les recherches de Kelloway (2004) ou Aronsson et al. (2017) prouvent que le climat organisationnel est un facteur-clé de la santé mentale au travail.
Résultat : en connectant ces approches, on obtient une stratégie gagnante. Taxer l’inefficacité, récompenser l’investissement managérial.
Récompenser les entreprises vertueuses : vers une redistribution organisationnelle
Pourquoi ne pas aller plus loin ?
Imaginons un système où :
- Les entreprises investissant dans le management responsable, la prévention des RPS ou la formation des encadrants reçoivent un crédit de cotisation ou un allègement fiscal,
- Celles qui laissent perdurer des climats délétères participent davantage au financement de la sécurité sociale,
- L’État encourage les audits managériaux comme il encourage les bilans carbone.
Cela pourrait s’appliquer aussi à d’autres sujets :
- Diversité et inclusion,
- Éthique dans les pratiques commerciales,
- Impact environnemental.
Un levier déjà exploré : le management comme facteur de coût collectif
Il y a quelques jours, j’évoquais déjà cette idée :
👉 Et si l’absentéisme n’était pas qu’un indicateur RH… mais le symptôme d’un déséquilibre organisationnel profond ?
👉 Et si faire contribuer davantage les entreprises avec un fort taux d’arrêt maladie n’était pas une punition… mais une manière juste de responsabiliser les pratiques managériales ?
L'article montrait que les arrêts maladie récurrents sont souvent le miroir d’un management dysfonctionnel, et proposait d’utiliser cet indicateur comme levier de transformation.
➡️ Relire cet article sur l’absentéisme et la responsabilité managériale
La proposition que je développe aujourd’hui s’inscrit dans le prolongement : taxer les pratiques qui coûtent à la société, soutenir celles qui y contribuent, en s’appuyant sur des modèles économiques éprouvés.
Conclusion : Taxer pour transformer, pas pour punir
Le bon impôt n’est pas celui qui pèse, mais celui qui oriente.
Un système fiscal intelligent ne se contente pas de collecter. Il corrige, équilibre, et catalyse les transformations utiles à la société. En ciblant les comportements réellement nuisibles — y compris dans les pratiques managériales — et en redistribuant vers ceux qui œuvrent pour un mieux-être collectif, l’impôt devient une force de régulation douce mais puissante.
Et si l’on considérait enfin la fiscalité comme un outil de management collectif ?
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Parlons-en ensemble.
Synthèse des modèles de régulation par l’intervention économique
Voici une grille de lecture claire des principaux mécanismes utilisés pour réguler les comportements économiques, en les reliant à vos enjeux de management, absentéisme et performance durable :
Nom du mécanisme | Définition | Objectif principal | Avantages | Limites / Risques |
---|---|---|---|---|
Taxe pigouvienne | Taxer une externalité négative pour que son coût soit internalisé (ex : pollution, absentéisme chronique) | Réduire les comportements nocifs pour la société | Simple, incitative, fondée sur la responsabilité | Risque d’injustice si l’indicateur est mal calibré (ex : grippe vs mal-être) |
Redistribution ciblée | Prendre à ceux qui nuisent ou bénéficient de rentes pour aider ceux qui agissent vertueusement ou subissent | Corriger les inégalités, rééquilibrer les efforts | Légitimité sociale forte, impact sur l'équité | Complexité administrative, risque de stigmatisation |
Mécanisme incitatif (bonus-malus) | Encourager activement les bons comportements par des allègements ou subventions | Transformer les pratiques sans contrainte directe | Acceptabilité plus élevée, souplesse | Peut favoriser l’opportunisme ou l’optimisation |
Correction de l’évasion | Réduire l’informalité ou les contournements abusifs (ex : conditionner les exonérations) | Rétablir la justice fiscale, renforcer la transparence | Lutte contre la concurrence déloyale, gains financiers | Coûts de contrôle, résistance politique ou économique |
Intervention universelle | Financer des biens publics pour tous, sans ciblage particulier (santé, éducation, etc.) | Assurer stabilité et égalité des chances | Simplicité, visibilité, soutien politique fort | Moins ciblée, parfois moins efficace pour corriger un problème spécifique |