Mesurer la productivité des services : un défi impossible ?

Peut-on mesurer la productivité des services comme celle de l’industrie ? Découvrez pourquoi les économistes sont divisés et quelles alternatives existent !

Mesurer la productivité des services : un défi impossible ?
Photo by kris / Unsplash

Contrairement à l’industrie, où l’on quantifie facilement l’efficacité, les services sont immatériels, interactifs et personnalisés. Alors, comment savoir si un service est vraiment "productif" ?

Les économistes se sont longtemps affrontés sur cette question, et les politiques publiques ont parfois pris de mauvaises décisions en se basant sur des indicateurs inadaptés.

Dans cet article, nous allons voir :
Pourquoi la productivité des services est si difficile à mesurer.
Comment les mauvaises méthodes d’évaluation ont conduit à des erreurs économiques.
Quelles alternatives existent pour mieux évaluer la performance des services.


Qu’est-ce que la productivité ?

La productivité est un indicateur clé en économie. Elle permet de mesurer l’efficacité avec laquelle une entreprise, un secteur ou un pays transforme ses ressources en résultats.

Définition classique :
Productivité = Production / Quantité de ressources utilisées

Dans l’industrie, le calcul est simple et efficace : on compare le nombre de biens produits à la quantité de travail ou de capital utilisée. Si une usine fabrique plus de voitures avec moins d’heures de travail, elle est plus productive.

Pourquoi ce calcul fonctionne dans l’industrie ?
✔ Les biens sont tangibles et mesurables.
✔ On connaît le nombre d’unités produites.
✔ On peut facilement optimiser les processus.

Mais lorsque l’on applique cette approche aux services, un problème de taille se pose…


Calculer la productivité des services : Un vrai casse-tête

Le secteur des services représente plus de 70 % du PIB des pays développés. Pourtant, les économistes se sont heurtés à un obstacle : comment mesurer la productivité d’un service, alors qu’il est intangible par définition ?

Le problème du numérateur : qu’est-ce qu’un “service produit” ?

Contrairement aux biens manufacturés, les services sont immatériels, hétérogènes et non stockables.

Prenons un exemple :
Un consultant passe 5 heures avec un client. A-t-il produit plus qu’un consultant qui en passe 3 ?
Un médecin soigne 10 patients dans la journée, alors qu’un autre soigne 5 cas plus complexes. Qui est le plus productif ?

Des économistes ont rapidement proposés que le service produit est le service en lui-même. Donc :

La productivité = heures travaillées / heures travaillées = 1

En appliquant la méthode traditionnelle, il n’y aurait donc aucun gain de productivité possible dans les services. Ce raisonnement erroné a conduit à des décisions économiques problématiques.


Conséquences : La “chasse aux services improductifs”

Puisque les services semblaient “non productifs”, certains gouvernements et économistes ont estimé qu’ils n’étaient pas compétitifs. Cela a mené à des politiques de réindustrialisation et à la suppression de certains services jugés improductifs car “non rentables” :

Fermeture de bureaux de poste en milieu rural.
Réduction du nombre d’hôpitaux de campagne.
Diminution du personnel d’accueil dans les services publics.

Mais ce raisonnement est biaisé !
Un service n’a pas besoin d’être quantifié en “unités” pour être essentiel.
Sa valeur réside souvent dans la satisfaction des usagers, et non dans une production tangible.


Chercher d’autres approches : Trois méthodes testées

Face à cette impasse, les économistes ont tenté différentes approches pour mesurer la productivité des services :

1. Les approches indiciaires

  • Utilisent des indices composites pour estimer la production des services (ex. : chiffre d’affaires, satisfaction client, etc.).
  • Problème : les services sont trop diversifiés, rendant la standardisation difficile.

2. Les techniques d’enveloppe (DEA, Stochastic Frontier Analysis)

  • Modèles mathématiques qui comparent les performances de différentes unités de service.
  • Problème : nécessitent des données homogènes difficiles à obtenir.

3. Les approches économétriques

  • Corrèlent la productivité des services avec des variables comme l’innovation ou la digitalisation.
  • Problème : corrélation n’est pas causalité.

Productivité vs Qualité : une relation parfois opposée

Dans les services, plus vite n’est pas toujours mieux. Une logique purement quantitative peut détériorer la qualité et nuire à l’expérience client.

Exemples concrets :

  • Hôpitaux : réduire la durée moyenne des séjours diminue les coûts… mais peut augmenter le taux de réadmission.
  • Service client : traiter plus d’appels par heure ne signifie pas mieux résoudre les problèmes.
  • Éducation : enseigner plus de matières en moins d’heures peut baisser le niveau des élèves.

Un indicateur de productivité mal conçu peut favoriser des comportements contre-productifs, poussant les employés à optimiser les chiffres plutôt que le service.


L’effet Baumol : pourquoi certains services sont structurellement moins productifs

L’économiste William Baumol (1966) a montré que certains secteurs ne peuvent pas augmenter leur productivité sans perdre en qualité.

Pourquoi ?
Dans l’industrie, les machines remplacent les humains, améliorant la productivité.
Dans les services, certaines tâches sont incompressibles :

Exemples :

  • Un concert de musique classique durait 40 min en 1820… et dure toujours 40 min aujourd’hui.
  • Une consultation médicale dure 30 min, et réduire ce temps peut nuire au diagnostic.
  • Un enseignant ne peut pas doubler le nombre d’élèves sans perdre en qualité.

Conséquence ?

  • Les coûts des services augmentent naturellement avec le temps, car leur productivité évolue moins vite que dans l’industrie.
  • Cela explique pourquoi les dépenses de santé, d’éducation et de services publics sont en hausse constante.

Conclusion : il est absurde d’exiger des gains de productivité dans certains services comme on le ferait pour une usine !


La productivité des services est souvent sous-estimée

Contrairement aux idées reçues, les services ne sont pas "moins productifs", mais leur productivité est plus difficile à quantifier. L’OCDE et Statistique Canada montrent que l’innovation dans les services est un levier majeur d’amélioration, mais rarement pris en compte dans les indicateurs traditionnels.

Trois facteurs qui boostent la productivité des services :
La digitalisation : les outils numériques (ex : e-banking, plateformes de réservation) augmentent l’efficacité.
L’externalisation : en spécialisant certaines tâches, les entreprises gagnent en flexibilité et en performance.
Les innovations organisationnelles : méthodes agiles, automatisation des processus, travail collaboratif.

Pourtant, ces gains restent invisibles dans les modèles classiques, faussant la comparaison avec l’industrie.


Servuction : pourquoi le client fait partie du service

Contrairement à un produit industriel, un service se co-construit avec le client. Ce phénomène, appelé "servuction" (Gadrey, 1994), remet en cause les mesures traditionnelles de productivité.

Exemples :

  • Un restaurant ne vend pas qu’un repas, mais une expérience globale (service, ambiance, délai d’attente).
  • Un coaching n’est pas seulement un transfert de connaissances, mais une interaction personnalisée où le client a un rôle actif.

Pourquoi cela complique la mesure de productivité ?
Le client influence le service : un client préparé dans un rendez-vous médical fait gagner du temps, un autre mal organisé le rallonge.
Le service évolue en temps réel : l’optimisation ne se fait pas par standardisation, mais par adaptation à chaque cas.

Conclusion : vouloir mesurer la productivité d’un service sans inclure l’interaction client est une erreur !


Et si on arrêtait d’essayer de calculer la productivité des services ?

Pourquoi vouloir absolument quantifier un secteur qui repose sur l’humain et l’interaction ?

Dans les services, les KPI classiques peuvent nuire à la qualité du service.

Plutôt que de chercher un indicateur unique, focalisons-nous sur des facteurs plus pertinents :
La satisfaction des usagers : Est-ce que le service répond aux besoins du client ?
La qualité de l’interaction : Un service bien rendu peut nécessiter plus de temps et non moins.
L’impact réel sur l’économie et la société : Un service public peut être “non rentable” mais indispensable.

Vers une nouvelle vision de la productivité :
Travailler mieux ne signifie pas toujours travailler plus vite.
L’impact d’un service ne se limite pas à sa quantité, mais à sa pertinence.


Comment mesurer autrement la performance des services ?

Les services ne doivent pas être évalués comme des usines. Ils nécessitent une approche différente, plus qualitative que quantitative.

L’objectif ne devrait pas être d’augmenter artificiellement la productivité des services, mais d’améliorer leur efficacité perçue et leur valeur ajoutée réelle.

Conclusion : Travaillons à mieux structurer et comprendre les services, plutôt que d’essayer à tout prix de leur appliquer des modèles industriels obsolètes !

Prêt à transformer votre entreprise avec une approche scientifique et stratégique ?

Que ce soit pour optimiser vos offres, structurer votre management ou résoudre une problématique spécifique, nous vous accompagnons avec des solutions concrètes, adaptées et fondées sur les meilleures recherches.

Discutons de vos enjeux dès aujourd’hui

Contactez-nous, nous vous répondrons dans les plus brefs délais.

© 2025 Stratarys – Made with by VM IT