Supprimer deux jours fériés : une fausse bonne idée ? Analyse économique de la proposition de Bayrou
Alors que François Bayrou propose de supprimer deux jours fériés pour réduire le déficit public, cette mesure est-elle économiquement pertinente ? Une analyse à court, moyen et long terme pour démêler les promesses des risques.
Suppression de deux jours fériés : une bonne idée d’un point de vue économique ?
La proposition de François Bayrou, récemment évoquée dans le débat budgétaire, de supprimer deux jours fériés pour contribuer à la réduction du déficit public a rapidement enflammé la sphère politique, sociale et économique. L’objectif affiché ? Faire travailler davantage pour produire plus et réduire les dépenses publiques. Mais cette mesure, aussi symbolique qu’impactante, est-elle vraiment efficace à court terme sur le plan économique ?
Une proposition aux contours encore flous
Si aucune loi n’a encore été déposée, l’idée avancée par Bayrou vise à supprimer deux jours fériés emblématiques : le lundi de Pâques et le 8 mai. Ces dates sont particulièrement sensibles car elles ne sont pas seulement des jours de repos : elles portent une forte charge symbolique et historique, liée à la religion pour l’une, à la mémoire collective pour l’autre.
L’enjeu : réduire le déficit public et “faire des économies” sans augmenter les impôts. Selon certaines estimations, la suppression de ces deux jours permettrait un gain marginal d’environ 0,06 % du PIB, soit environ 4 milliards d’euros. Mais derrière ce chiffre, se cache une réalité bien plus nuancée.
Les gains économiques à court terme : une illusion d’optique ?
Sur le papier, la mesure semble simple : moins de jours fériés = plus de jours travaillés = plus de production = plus de croissance. Mais la réalité économique ne se plie pas si facilement à cette équation.
- Un gain de production modeste : selon l’INSEE et des économistes du FMI, le surcroît d’activité généré par deux jours ouvrés supplémentaires est très limité. La hausse du PIB serait marginale, de l’ordre de +0,01 à +0,06 %, soit un effet à peine perceptible sur les finances publiques.
- Des effets sectoriels contradictoires : les secteurs industriels ou tertiaires internalisés (ex. : l'administration, l’usine) peuvent en effet légèrement augmenter leur productivité. En revanche, les secteurs du tourisme, de la restauration et des loisirs risquent d’être les grands perdants d’une suppression de deux jours fériés. En effet, ces jours représentent des périodes d’activité intense pour eux. Beaucoup de Français profitent des jours fériés pour partir en week-end prolongé, sortir au restaurant, visiter des lieux culturels, aller au cinéma, ou encore organiser des événements familiaux (repas, escapades…). Ces journées sont donc cruciales pour le chiffre d’affaires de ces secteurs : elles concentrent une forte affluence et souvent une hausse des prix (notamment dans l’hôtellerie ou les loisirs). En supprimant ces jours, on réduit le temps libre disponible pour ces activités, surtout pour les personnes ne pouvant pas facilement prendre de congés en dehors des périodes fixées collectivement. Résultat : une baisse directe de fréquentation, donc de revenus, avec un effet d’autant plus marqué pour les petites entreprises ou les territoires touristiques dépendants des clientèles locales.
- Des économies publiques faibles : même dans le secteur public, la suppression des congés ne garantit pas des économies significatives car le personnel reste souvent rémunéré sur des bases fixes, avec des systèmes d’organisation rigides.
Les risques : contestation, absentéisme et désengagement
Au-delà du gain limité, les effets pervers à court terme méritent d’être soulignés :
- Effet “récupération sauvage” : une partie des salariés pourrait transformer cette suppression en arrêts maladie “de protestation”, symbolique ou stratégique. L’idée sous-jacente : "si on m’enlève deux jours de repos, je les reprends autrement". Ce comportement, bien que marginal, pourrait se traduire par une hausse ponctuelle des arrêts de courte durée, notamment dans les fonctions les plus exposées à la pénibilité.
- Démotivation généralisée : un tel changement, s’il est perçu comme injuste ou un recul des droits, risque de provoquer une baisse de l’engagement au travail, surtout s’il n’est pas compensé (augmentation salariale, temps de repos ailleurs).
- Risque de tension sociale : à court terme, syndicats et collectifs citoyens pourraient se mobiliser, entraînant grèves, ralentissements de production, voire dégradations de l’image de certaines entreprises ou institutions.
Une mesure à rendement décroissant
L’expérience danoise de 2023 (suppression d’un jour férié religieux) et les précédents européens montrent que les effets économiques d’une telle décision sont, au mieux, temporaires et modestes. Pire, en cas de mauvaise réception par la population, les tensions sociales peuvent annuler les gains escomptés.
Suppression de jours fériés : quels effets à moyen terme ?
Après le choc initial de l’annonce de François Bayrou, une question persiste : la suppression de deux jours fériés pourrait-elle, à moyen terme, produire des effets bénéfiques sur l’économie ou sur les comptes publics ? Ou au contraire, risquerait-elle d’installer une forme de désengagement et d’instabilité plus durable ?
Une économie qui s’ajuste… sans forcément croître
Contrairement aux promesses politiques, les données disponibles sur les pays ayant tenté des mesures similaires montrent que les gains économiques à moyen terme sont faibles, voire inexistants.
- Le Portugal, qui avait supprimé quatre jours fériés en 2012, est revenu sur cette décision en 2016, faute de résultats significatifs. La croissance n’a pas redémarré comme espéré, et la mesure avait surtout généré du mécontentement.
- Le Danemark, après avoir supprimé en 2023 le "Great Prayer Day", n’a enregistré aucun rebond notable du PIB (hausse estimée à +0,01 % au pire et +0,06 % au mieux). L’économie s’est simplement ajustée, sans réel effet d’entraînement.
Autrement dit, à moyen terme, l’économie absorbe la suppression de jours fériés par réorganisation : les entreprises adaptent leurs plannings, mais la production totale reste quasi inchangée, car elle dépend surtout de la demande, de l’investissement, et de l’innovation, pas du simple nombre d’heures travaillées.
Des risques persistants sur l’engagement et la santé des salariés
Si les effets macroéconomiques restent limités, les impacts humains et sociaux peuvent s’amplifier à moyen terme :
- Baisse de la productivité réelle : travailler plus ne signifie pas nécessairement produire mieux. Une fatigue installée, une démotivation diffuse ou une perte de sens dans le travail peuvent réduire la productivité individuelle, en particulier dans les métiers cognitifs, relationnels ou à forte charge mentale.
- Risques psychosociaux accrus : selon les données du ministère du Travail, le manque de récupération est un facteur aggravant de stress chronique, de burn-out et d’absentéisme. La suppression de deux jours de repos annuels pourrait accentuer ces effets, surtout dans les secteurs déjà en tension (santé, éducation, services à la personne).
- Turn-over et désengagement : à moyen terme, la perception d’une dégradation des conditions de travail peut conduire à une hausse du turn-over, ou à un retrait intérieur plus insidieux : "je reste, mais je ne donne plus autant".
Une image dégradée du marché du travail français ?
Dans un contexte de concurrence internationale pour attirer les talents, la France pourrait également y perdre en attractivité :
- Les pays scandinaves, malgré un nombre de jours fériés relativement modeste, compensent par des modèles de travail souples et protecteurs.
- La France risquerait de cumuler les inconvénients : pression accrue sans flexibilité, réduction des temps de repos sans revalorisation salariale équivalente, ce qui peut nuire à son image.
Une réforme sans consensus, sans effet réel ?
À moyen terme, le principal risque serait de changer peu de choses en profondeur, tout en détériorant le lien entre les travailleurs et les institutions. Les entreprises risquent de faire face à plus d'absences imprévues, plus de difficultés de recrutement, ou une perte de cohésion.
Supprimer deux jours fériés : quels impacts à long terme sur l’économie et la société française ?
Si l’annonce de François Bayrou a surtout suscité des réactions à chaud, la question mérite d’être pensée dans le temps long. Car au-delà des économies budgétaires espérées, la suppression de deux jours fériés soulève des enjeux profonds : productivité durable, santé publique, modèle social, innovation. Que se passe-t-il lorsqu’un pays décide de rogner durablement sur le temps de repos collectif ?
Moins de repos, moins de santé ? Le coût invisible du stress accumulé
De nombreuses études en santé publique (INRS, DARES, OMS) convergent : un déséquilibre prolongé entre travail et récupération entraîne une usure psychologique, une hausse des maladies professionnelles et un allongement des arrêts maladie longue durée.
- Une réduction des jours fériés sur plusieurs années pourrait accroître les cas de burn-out, troubles musculo-squelettiques, voire dépressions liées au travail.
- Cela génère un coût croissant pour l’Assurance maladie, avec un effet de déport des économies attendues vers d’autres budgets publics.
- À long terme, cela pourrait aussi réduire l’espérance de vie en bonne santé des actifs, déjà en stagnation en France depuis quelques années.
Autrement dit, la suppression d’un jour férié peut coûter bien plus qu’elle ne rapporte, une fois les effets différés pris en compte.
Une dégradation du capital humain et de la créativité
Les jours fériés ne sont pas qu’un droit social : ils participent à la préservation du capital humain, à l’innovation et à l’adaptation continue des individus.
- Dans une économie de la connaissance, la créativité et l’agilité mentale sont des ressources stratégiques. Or, elles nécessitent du repos, du temps libre, et des temps de déconnexion pour émerger.
- À long terme, une pression continue sur les salariés sans rééquilibrage risque de freiner l’innovation, de renforcer les écarts de performance entre entreprises et d’aggraver les inégalités.
Un pays ne peut pas miser sur l’économie de demain en rognant sur la santé mentale et la motivation de ses forces vives.
Fragilisation du pacte social français
Supprimer le 8 mai, jour de la victoire sur le nazisme, ou le lundi de Pâques, ancré dans la culture chrétienne, c’est aussi fragiliser des repères collectifs.
- Les jours fériés sont des marqueurs de la mémoire nationale. Leur effacement peut être vécu comme une négation symbolique.
- Le risque, à long terme, est de creuser le fossé entre les citoyens et l’État, en donnant le sentiment que les efforts pèsent toujours sur les mêmes, sans contrepartie ni vision partagée.
- Cela peut nourrir un climat de défiance, propice à l’abstention, aux tensions sociales et à la désaffiliation civique.
Et face au monde ? Une France moins attractive
Dans une économie globalisée où les talents circulent, la compétitivité d’un pays ne se joue plus uniquement sur le coût du travail, mais sur la qualité de vie, l’équilibre pro-perso, la stabilité sociale.
- À long terme, une telle réforme, si elle n’est pas compensée (par plus de flexibilité, de participation, de sens au travail), peut rendre la France moins attractive pour les travailleurs qualifiés.
- D’autant que d’autres pays européens (Allemagne, Espagne, pays nordiques) tendent au contraire à valoriser le bien-être comme levier de performance durable.
Une réforme qui pourrait miner ses propres objectifs
Ironiquement, la suppression des jours fériés, pensée pour faire des économies, pourrait entraîner plus de dépenses publiques, plus d’absentéisme, moins d’attractivité, et un recul de la cohésion nationale. Une réforme à visée budgétaire, mais au rendement décroissant et aux effets secondaires bien réels.
Une vision à contre-courant de la recherche et du terrain
Cette proposition de supprimer deux jours fériés, portée par François Bayrou, s’inscrit dans une vision classique du travail : plus de temps passé au bureau signifierait plus de richesse produite. Mais à la lumière des recherches récentes et des expérimentations menées dans plusieurs pays, cette logique ne résiste ni aux faits ni à l’expérience de terrain.
Dans un précédent article, nous explorions les effets de la semaine de 4 jours, qui va précisément dans la direction inverse : réduire le temps de travail pour augmenter la productivité réelle, améliorer le bien-être, réduire le stress et les arrêts maladie… avec des résultats concrets à la clé pour les salariés et les entreprises.
De même, nous avons défendu l’idée que les entreprises qui génèrent trop d’arrêts maladie — souvent à cause d’un management toxique ou d’un climat de travail dégradé — devraient contribuer davantage au financement de la Sécurité sociale. Là aussi, l’enjeu est de mettre la responsabilité au bon endroit, plutôt que de faire reposer l’effort sur le collectif de manière uniforme et potentiellement contre-productive.
Existe-t-il un nombre optimal de jours fériés ?
Fait méconnu mais essentiel : des études internationales suggèrent qu’il existe un “optimum économique” en matière de jours fériés.
Un rapport du Centre for Future Labour Market Studies, basé sur l’analyse de 101 pays, identifie une zone optimale située entre 9 et 11 jours fériés par an. En dessous, le temps de repos devient insuffisant pour garantir le bien-être, ce qui nuit à la productivité ; au-delà, les gains en qualité de vie n’ont plus d’effet notable sur l’activité économique, voire génèrent une forme d’inertie.
Un article de Reuters corrobore cette idée, en rappelant que plusieurs pays européens comme l’Italie ou l’Allemagne, qui ont un nombre de jours fériés similaires, ne souffrent pas pour autant d’un déficit de croissance.
La France, avec ses 11 jours fériés actuels, se situe donc en haut de cette zone “idéale”, et toute réduction supplémentaire risquerait de nous faire basculer sous le seuil d’équilibre, avec des effets incertains voire contre-productifs à moyen terme.
En conclusion : un symbole dangereux, un pari risqué
Supprimer des jours fériés, ce n’est pas simplement grignoter deux jours dans le calendrier : c’est remettre en question le lien entre temps de repos, santé et performance. Si l’intention d’équilibrer les comptes publics est compréhensible, la méthode choisie semble peu efficace économiquement, risquée socialement, et à rebours des dynamiques modernes du travail.
Plutôt que de retirer ce qui fonctionne — les repères communs, les temps de récupération, les conditions minimales de bien-être —, ne serait-il pas plus pertinent de s’attaquer aux vraies causes des déséquilibres ? Notamment :
- la mauvaise organisation du travail,
- le désengagement causé par un manque de reconnaissance ou de vision,
- et les inégalités de conditions entre salariés et secteurs.
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